La fouille du « pont-barrage » de Ras Shamra
Un ouvrage d’art exceptionnel
En 1986 a été découvert, dans le lit du Nahr ed-Delbé, au sud du site de Ras Shamra, un aménagement particulier – un « barrage-poutrelles » –, construit pour l’essentiel en blocs quadrangulaires de ramleh, un grès de plage calcaire que l’on trouve fréquemment à l’affleurement dans la région. Des fouilles menées dès 1986, achevées en 2009, ont permis de dégager en partie l’ouvrage qui barrait le cours d’eau au moyen d’une pile centrale et de deux massifs d’ancrage implantés sur les rives : seule la pile et le massif de rive gauche sont conservés. Les deux passes ainsi ménagées pouvaient être fermées par des poutrelles glissées dans des encoches taillées dans la pile et dans les massifs d’ancrage, créant ainsi un « lac de retenue » en amont. L’ouvrage devait aussi servir de pont, assurant la circulation vers la ville grâce au franchissement du cours d’eau, mais il créait surtout une précieuse réserve en eau. Il s’agirait du plus ancien ouvrage de ce type actuellement connu en Syrie.
Les fouilles nous ont permis de préciser la ou les fonctions de l’ouvrage ainsi que ses modes de construction, à défaut de nous assurer pour le moment de sa datation précise. Ont pu être dégagés la pile centrale et le massif d’ancrage de rive gauche sur une longueur d’environ 10 m et sur une largeur maximale de près de 4 m. Même si l’ensemble de l’aménagement n’est pas mis au jour, nous pouvons déjà préciser son histoire, qui a connu deux phases distinctes de fonctionnement.
Une première phase d’exploitation
La première phase correspond à la construction de l’aménagement, réalisé en un appareil de blocs de pierre de taille modulaire, soigneusement taillés. Il servait alors probablement à l’irrigation puisqu’un « bloc à rigole », destiné à guider l’eau du lac de retenue vers la surface de la terrasse alluviale, a été trouvé sur le lit du nahr, peu en amont de l’emplacement de la vanne. Il est probable que l’aménagement servait aussi de pont, du fait de sa position par rapport au site de Ras Shamra. La datation de cette phase pose problème, mais l’hypothèse d’un aménagement remontant à l’âge du Bronze récent, période de splendeur d’Ougarit, est la plus probable.
Une deuxième phase d’exploitation
La deuxième phase consiste en un empierrement, sans doute un chemin, réalisé avec des moellons de calcaire et de ramleh, qui vient coiffer le massif d’ancrage, face à la pile centrale. Cet empierrement est limité, en direction de la pile centrale, par deux blocs taillés posés à plat. Si la fonction de pont est donc attestée pour cette deuxième phase, celle de barrage n’est pas certaine. Des datations C-14 obtenues à partir de charbons de bois prélevés dans du mortier de chaux utilisé pour des réfections semblent indiquer une réutilisation à l’époque romaine.
Pour en savoir plus
Syria 87, p. 21-51.
2010, « Étude des techniques de taille dans l’architecture d’Ougarit : le pont-barrage sur le Nahr ed-Delbe », in M. Al-Maqdissi et al., Rapport préliminaire sur les activités de la mission syro-française de Ras Shamra – Ougarit en 2007 et 2008 (67e et 68e campagnes), Syria 87, p. 32-33.
1990, « Un barrage antique à Ras Shamra », in B. Geyer (éd.), Techniques et pratiques hydro- agricoles traditionnelles en domaine irrigué : approche pluridisciplinaire des modes de culture avant la motorisation en Syrie, Actes du Colloque de Damas 1987, BAH 136, P. Geuthner, Paris, p. 487-499.
, 1995, « Environnement et ressources en eau dans la région d’Ougarit », in M. Yon, M. Sznycer et P. Bordreuil (éds), Le pays d’Ougarit autour de 1200 av. J.-C., Actes du colloque de Paris, juin 1993, Ras Shamra – Ougarit XI, ERC-ADPF, Paris, p. 169-182.
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Calvet Y., Geyer B. 1991, « Antike Talsperren in Syrien », in G. Garbrecht (Hrsg.), Historische Talsperren 2, Stuttgart, Verlag K. Wittwer, p. 195-236 et 283.
, , 2016, « De la photographie aérienne des années 1930 à la restitution 3 D : les techniques innovantes d’hier et d’aujourd’hui », in V. Matoïan et T. Römer (dir.), Catalogue d’exposition : Ougarit entre Orient et Occident, Mission archéologique syro-française de Ras Shamra – Collège de France, p. 58-59.
2012, « Ressources en eau et aménagements hydrauliques en Ougarit : état de la recherche », in V. Matoïan, M. Al-Maqdissi et Y. Calvet (éds), Études ougaritiques II, Ras Shamra – Ougarit XX, Éd. Peeters, p. 11-18.
, , avec la coll. de Matoïan V., Marriner N., Leconte M., Chambrade M.-L., Onnis F., Goiran J.-P. 2013, « Le “pont-barrage” du Nahr ed-Delbé (Ras Shamra – Ougarit, Syrie)», in V. Matoïan et M. Al-Maqdissi (éds), Études ougaritiques III, Ras Shamra – Ougarit XXI, Éd. Peeters, p. 1-45.
et al. 2013, « Rapport préliminaire sur les activités de la mission archéologique syro-française de Ras Shamra – Ougarit en 2009 et 2010 (69e et 70e campagnes) », Syria 90, p. 435-475.